Beijing has misjudged the situation in Hong Kong [French interview on L’opinion]
The following John Keane’s interview with Claude Leblanc, ‘Beijing has misjudged the situation in Hong Kong’, appeared in the Paris-based newspaper, L’opinion, 30 September 2014.
« Pékin a mal évalué la situation à Hongkong »
John Keane, professeur de sciences politiques à l’Université de Sydney et au Wissenschaftszentrum Berlin
Vous avez déclaré que la situation à Hongkong pouvait dégénérer en un second Tiananmen. Qu’est-ce qui vous amène à penser cela ?
Selon Xi Jinping, l’effondrement de l’Union soviétique en 1991 serait lié au fait que « personne n’avait eu le courage de se lever pour la défendre ». Pour faire face à ses ennemis de l’intérieur et rester au pouvoir, il pourrait être tenté de recourir à la force. Il faut se souvenir que la force constitue l’ultime recours pour le Parti communiste. Si les parapluies sont de sortie à Hongkong, c’est que l’usage de la force a d’ores et déjà été décrété là-bas. En témoignent l’utilisation de gaz au poivre et de gaz lacrymogène, les nombreuses arrestations, les agents provocateurs et les blocages sur Internet. Tout cela indique que les assassins préparent leur crime. Si c’est vraiment le cas, ils doivent savoir que l’usage systématique de la force avec l’envoi de troupes armées ou de véhicules blindés de l’Armée populaire serait plus qu’une catastrophe spirituelle et politique pour les citoyens de Hongkong. Cela aurait des conséquences incommensurables sur l’économie chinoise.
Comment en est-on arrivé là ?
Pékin a mal évalué la situation. Le gouvernement central n’aurait jamais dû laisser les choses évoluer de cette manière. Ce qui est en jeu aujourd’hui à Hongkong, c’est l’avenir de la 8e puissance commerciale du monde. Les responsables britanniques qui ont négocié, en 1985, la Déclaration commune sino-britannique sur la question de Hongkong pensaient que les citoyens de la colonie seraient plus intéressés par l’argent que par la démocratie. Ils se sont trompés. Aujourd’hui, les entreprises étrangères et certains dirigeants locaux estiment que s’ils perdent contrôle de la situation, Hongkong court à sa ruine. C’est totalement faux dans la mesure où son succès économique repose sur sa culture anticorruption et sur les libertés civiles dont profitent ses citoyens. Voilà pourquoi le « soulèvement des parapluies » bénéficie pour l’instant du soutien des banques et du monde des affaires. A Hongkong, tout le monde est conscient de l’importance de la géographie urbaine. Les gens savent que si Pékin obtient ce qu’il veut, en détruisant les libertés et en affaiblissant le système judiciaire indépendant, Hongkong ressemblera à la prédiction de l’ancien Premier ministre singapourien Lee Kuan Yew selon laquelle elle ne sera plus qu’une ville chinoise parmi d’autres, un ancien espace ouvert et dynamique, une société civile urbaine engloutie par un modèle corrompu.
Comment Pékin devrait-il réagir ?
La solution politique est plutôt simple : Pékin devrait reculer. La police antiémeute devrait rester cantonnée dans ses casernes. Le gouvernement local et ses maîtres à Pékin devraient affirmer que l’Armée populaire n’interviendra pas contre les manifestants. Des négociations entre le mouvement Occupy Central et les autorités locales devraient aussi être annoncées. Mais surtout, il faudrait que le sujet le plus sensible, c’est-à-dire le senti- ment des Hongkongais d’être désormais pris à la gorge par Pékin, soit aussi abordé ouvertement.